En créant Don Juan, nous n'avons eu d'autre souhait que de vous faire découvrir l'un des personnages les plus fascinants qui ait jamais hanté nos théâtres..

Le spectacle a été crée le 16 Mars 2011 au Casino de Bordeaux

  

 

Le Théâtre JOB s’est toujours intéressé aux "grandes figures" de notre répertoire (Don Quichotte, Chantecler, Falstaf) avec, bien évidemment, une tendresse particulière pour celles (Tartuffe, Le bourgeois gentilhomme) que porta sur scène notre plus grand auteur de théâtre, à savoir Molière.. mais jamais nous n'avions envisagé jusqu'alors de nous "attaquer" à Don Juan, tant cette œuvre nous paraissait complexe (et par la même inaccessible)

L’âge venant (âge de raison ou d'oraison, mais ils ne sont jamais très loin l'un de l'autre), nous nous sommes enfin décidés à cheminer avec  ce personnage hors du commun, monstre d' amoralité et d'appétence de vie.

Il est bien évident que la pièce va au delà d'une simple étude de mœurs. Elle oppose l'homme à son créateur ou à son absence de créateur, et en cela, elle est fascinante et d'une très grande modernité !

        Et puis, pourquoi ne pas le dire, Don Juan est aussi une comédie, une formidable comédie ! 

 

 

Dom Juan

Libertin, séducteur, infidèle, ne croyant à rien d’autre qu’à lui-même, Dom Juan accumule les conquêtes amoureuses et les transgressions sociales. Il "joue" avec ceux qui l’entourent et les méprise le plus souvent. Il en dénonce certes l’hypocrisie et la fausse grandeur, mais sans vouloir en corriger les débords et les errances. Il vit "avec", s’en accommode, s’en amuse, n’aime dans la femme que sa conquête, et peu importe le mal qu’il fait à ses victimes. Il l'assume sans état d’âme. Son cynisme le pousse à réfuter tout lien, toute chaîne qui pourrait le priver de sa liberté.

Mais Dom Juan, et c’est là tout le paradoxe du personnage, ne peut nous être totalement antipathique. Certes cruel, son indépendance nous séduit (ses arguments tombent souvent juste). Il n’a peur de rien, et regarde la Mort comme une nouvelle conquête.

 

    PHOTOS

                Sganarelle

               Sganarelle, valet de Dom Juan, est le témoin privilégié des errances de son maître dont il condamne les excès.

Mais Sganarelle (et en cela, il se démarque de tous les autres valets de comédies que dépeindra Molière) est lui aussi d'une ambigüité extrême. Car s'il avoue détester son maitre et ne rester avec lui que par lâcheté, il en admire également l'intelligence.

Fasciné par cet homme d'exception, il tente très souvent de lui apporter la contradiction, de "jouer" avec lui, mais ne peut le raisonner.

Molière le fait apparaître dans la pièce comme le défenseur de Dieu et de son église, mais Molière le fait de telle façon qu'on ne peut "croire" en sa "croyance", assimilée le plus souvent à de la superstition (s'il craint la colère de Dieu, Sganarelle craint tout autant le pouvoir des loups-garous). 

Mais Sganarelle, quoique fasciné par le charisme de son maître, n'est jamais montré comme stupide : il craint son maître, il en condamne la démesure, mais  lui reste (à sa façon) profondément attaché. Il en est le confident privilégié, allant même jusqu'à "parler" avec lui d'égal à égal..

 

 

 

Mise en scène............. Georges Berdot

 

Interprétation...........  Muriel Dabert, Johanna Hentiette, Déborah Moles, Caroline Robin, Agnès Saubion

Georges Barax, Georges Berdot, Fabien Lalaux, Jean Luc Rémond et Christian Ritter

    

Régie.......................... Francoise Sanaloubat et Fabrice Ricard       

Création Vidéo.......... Alain Chasseuil       Chorégraphie ............ Ophélie Ritter

Décors........................ Aux arts etc         Costumes.................... Odile Béranger                 Suivi du spectacle...... Andrée Sang

 

 

 

Sur la genèse de la pièce.

L'histoire de Don Juan est tiré d'une légende espagnole.

Tirso de Molina (1583-1648) fut le premier à s'y intéresser : il en tira une pièce intitulée "Le trompeur de Séville et Le convié de pierre".

Cette même pièce est adaptée en 1650 par deux auteurs différents (Cicognini et Gilberto) et jouée en Italie.
En 1658, la "troupe italienne" (commedia dell'arte) s'empare du sujet.

Cette même année, deux comédiens français (Dorimond et Villiers) en donnent une interprétation personnelle (à noter que celle de Dorimond, intitulée "Le festin de Pierre" ou "Le fils criminel", est intéressante de par sa causticité)

Molière s'est inspiré de tout cela en y amenant sa touche personnelle :

-invention de Done Elvire arrachée à un couvent,

-personnages parlant en patois (Seul Cyrano de Bergerac, dans le Pédant joué, avait tenté l'artifice),

-présence effective du Père en tant que personnage,

-un dénouement pour le moins complexe (Dom Juan, bravant la Mort, disparaît dans les flammes de l'enfer / Chez Tirso de Molina, Dom Juan, avant de mourir, se confessait de ses péchés  / Cervantès, dans Don Quichotte, usait du même procédé : son héros ne mourrait qu'après avoir demandé à Dieu de lui pardonner sa folie)

-Etc..

Dès sa mise en répétition (Molière venait de créer Tartuffe) , la pièce fait débat ((il faut savoir que les répétitions étaient publiques) : on reproche à Molière de se moquer de Dieu et de faire une apologie du libertinage.

Don Juan est joué (avec succès) pour la première fois le 15 Février 1665. Mais Molière y apporte toutefois quelques corrections : dès la seconde représentation, la scène dans laquelle Don Juan invite un pauvre à blasphémer, est supprimé (Voltaire ne reparlera de cette scène qu'en 1739).

La pièce est jouée, semble t'il, jusqu'à mi-mars.. mais ne sera plus reprise ensuite du vivant de l'auteur (il semblerait qu'on ait conseillé à Molière de renoncer à la jouer)

Il n'en demeure pas moins que c'est à la suite de cette pièce que Molière et sa troupe devinrent "troupe du roi" et subventionnés (6000 livres) en tant que telle (La troupe s'appelait auparavant Troupe de Monsieur / Monsieur était le frère du Roi).

Louis 14 défendit la pièce en faisant remarquer que Dom Juan était puni  au dénouement (la morale était donc sauve)

En 1676, le comédien Champlevé en donnera avec succès une version expurgée (intitulée Les fragments de Molière) .

Un an plus tard, Corneille réécrivit la pièce, mais en vers, et en l'édulcorant (cette 2ème version – payée 200 louis par les comédiens de l'hôtel Guénégaud à Corneille et à la veuve de Molière) – connut elle aussi un très grand succès.

La pièce ne fut rejouée dans sa version originale qu'en 1841 puis reprise par la Comédie française en 1847..

 

Curiosités et autres bizarreries 

 

Sganarelle : En quoi croyez vous, Monseigneur !

Dom Juan : Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit !

 

Dom Juan est certes un séducteur (il veut posséder toutes les femmes), mais –fort bizarrement- il ne semble pas intéressé par la possession physique de ses conquêtes. Il  est en cela très loin des "collectionneurs" de notre époque. Il ne cherche pas à "coucher", mais à épouser. Il veut "posséder" au sens légal du terme, ce qui peut paraître surprenant chez quelqu'un qui n'a aucune considération pour les règles sociales, mais qui peut s'expliquer aisément si on considère qu'il pourra ensuite bafouer au mieux les liens sacrés du mariage.

Il est bien évident que Dom Juan est un personnage à multiples facettes :

Dom Juan ne vit que l'instant présent, n'a aucun respect pour le bien social ou l'intérêt général, ne veut se soumettre à aucune loi tant divine que sociale, n'a aucune considération pour autrui..

Dom Juan refuse d'être une créature de Dieu, d'être le fils de son père, de devoir quoi que ce soit à qui que ce soit. Il n'accepte que Sganarelle à ses côtés, car il a besoin d'un témoin à ses côtés, d'un "humain" avec toutes ses contradictions, d'une caisse de résonance. Il ne subira qu'un seul échec : il ne pourra convaincre un pauvre de parjurer sa foi, même en lui offrant de l'argent

Malgré ses nombreux travers, Dom Juan peut nous paraître sympathique, mais ce serait oublier que le mépris qu'il a du genre humain le pousse à agir bien souvent de façon extrême (comme un "voyou", serais je tenté de dire) : une jeune femme se refuse à lui, il décide de la prendre de force / il est toujours accompagné de deux "tueurs" / il  maltraite physiquement son valet / il se sert pour séduire et de son statut de noble et de sa richesse / etc.. 

Dom Juan est certes un asocial, mais il reste en toutes occasions un aristocrate (il ne peut déroger aux "réflexes" de sa caste. C'est un noble et il réagit comme tel). D'où bien souvent un comportement chevaleresque :  il porte secours à un homme attaqué par des voleurs (Sganarelle, dans la même situation, en homme de bon sens, s'enfuit), il accepte  les duels qu'on lui propose, il ne saurait trahir la parole donnée, etc..

Je dirai pour ma part que Dom Juan est suicidaire. Il ne croit pas dans le monde dans lequel il vit, et ne sent pas de force à le changer. Il ne peut donc avoir d'autre finalité que de s'autodétruire.

Georges Berdot